Le code de la propriété intellectuelle définit la notion d’œuvre originale. Il faut distinguer l’œuvre musicale et son enregistrement sonore, qui obéissent chacun à des règles de protection et de rémunération particulières. Pour être protégeable, une œuvre musicale doit être originale. Elle n’a pas besoin d’être achevée ni d’être déposée.
1. Définition d’une œuvre musicale et de ses arrangements
Une œuvre musicale est une « composition musicale avec ou sans paroles », qui correspond à l’expression sonore de la pensée de la compositrice ou du compositeur.
Le code de la propriété intellectuelle la qualifie expressément « d’œuvre de l’esprit1 » et lui accorde une protection particulière sous certaines conditions, notamment d’originalité2.
Il protège de la même manière ses « arrangements », « adaptations » et « transformations ». Il ne prend malheureusement pas soin de définir précisément ce qui distingue un « arrangement » d’une « adaptation », ou encore d’une « transformation3 ».
En tout état de cause, ces « arrangements », « adaptations » et « transformations » doivent répondre aux mêmes conditions de protection posées par le code de la propriété intellectuelle.
La difficulté vient du langage courant des compositrices et des compositeurs, distinct de celui du législateur. Elles et ils désignent comme « arrangements » tout à la fois des adaptations ou des transformations.
Le gouvernement a quant à lui sa propre définition, établie lors de la mise en place du diplôme national supérieur professionnel de musicien, qui ne permet pas non plus de clarifier la distinction prévue par le code de la propriété intellectuelle entre un « arrangement », une « adaptation » ou une « transformation4 ».
Tout l’enjeu pour une compositrice ou un compositeur est par conséquent de vérifier si son « arrangement » remplit les critères de protection de la loi.
Concrètement, les « arrangements » se classent le plus souvent en deux catégories, suivant qu’ils sont le résultat d’une volonté de respecter l’œuvre originale ou d’en faire une œuvre nouvelle :
- Les « arrangements-transcriptions » (orchestrations ou instrumentations).
Ils consistent à transcrire à un ou plusieurs autres instruments une œuvre musicale destinée initialement à un ou plusieurs instruments donnés, dans un exercice technique n’exigeant pas de créativité particulière puisqu’il s’agit de reproduire l’œuvre première en la respectant. Ils peuvent être réalisés par la compositrice ou le compositeur ou bien être délégués à un tiers.
Les conditions de protection du code de la propriété intellectuelle ne sont alors le plus souvent pas remplies et « l’arrangement-transcription » ne peut être protégé. Il n’y a toutefois pas d’exclusion de principe : le juge reste souverain pour apprécier si un « arrangement-transcription » donné peut, le cas échéant, être protégé par le droit d’auteur au regard de son caractère original. - Les « arrangements-adaptations » ou « arrangements-transformations ».
Ils consistent le plus souvent à s’inspirer du thème principal de l’œuvre musicale en le recomposant en partie, en réaménageant partiellement la mélodie, le rythme ou encore en créant une instrumentation différente, au-delà de la simple transcription.
Les conditions de protection sont plus facilement acquises à ces arrangements même si, là encore, le juge reste souverain pour en apprécier le caractère original. C’est ce qui explique notamment que la Sacem choisisse de n’accepter dans son répertoire que les arrangements qui consistent en la « transformation d’une œuvre musicale avec ou sans paroles par l’adjonction d’un apport musical de création intellectuelle5 ».
2. Conditions de protection de l’œuvre musicale
Aucune formalité de dépôt ou d’enregistrement n’est requise pour qu’une œuvre musicale soit protégée de contrefaçon par le droit d’auteur6.
Sa protection est automatiquement acquise, du seul fait de sa création, même si elle est inachevée7. Elle est indépendante de toute considération d’ordre esthétique ou artistique. Le mérite n’est pas pris en compte8.
Si la protection est automatiquement acquise, il faut toutefois prouver que la création a bien eu lieu. De nombreuses solutions existent ainsi pour prouver une date « certaine » à sa création, permettant de justifier de son antériorité en cas de conflit.
La principale condition de protection d’une œuvre musicale tient à l’exigence de son caractère original.
Ce sont les tribunaux qui, à travers leur jurisprudence, ont défini le critère d’originalité d’une œuvre musicale.
Un litige relatif à l’œuvre musicale Aïcha a occupé les tribunaux pendant plus de 10 ans et permis de reprendre l’ensemble des éléments permettant de conclure à l’originalité d’une œuvre9.
On en retient que l’originalité s’apprécie à l’écoute de l’ensemble de l’œuvre, au regard de ses éléments constitutifs que sont ici la mélodie, l’harmonie et le rythme.
Il peut arriver que ces éléments, pris séparément, ne soient pas originaux, mais cela ne suffit pas pour dire que l’œuvre musicale dans son ensemble n’est pas originale. C’est bien la combinaison des différents éléments qui doit être prise en compte.
La contrefaçon s’apprécie, en droit d’auteur, au regard des ressemblances et non des différences. Il ne suffit pas de lister toutes les différences entre deux œuvres pour s’exonérer de son éventuelle responsabilité, mais également lister toutes les ressemblances. Le juge est ainsi souverain pour apprécier si ces ressemblances sont suffisantes pour caractériser la contrefaçon.
Si ces ressemblances sont suffisantes pour caractériser la contrefaçon, les juges peuvent toutefois écarter la contrefaçon s’ils estiment qu’elles résultent d’une « rencontre fortuite10 ».
C’est à la personne qui invoque ce moyen de défense qu’il appartient de prouver cette « rencontre fortuite ».
S’agissant de prouver un fait qui n’a pas eu lieu, les juges acceptent que cette rencontre fortuite soit établie grâce à des indices à condition que ceux-ci soient « suffisants11 » .
3. Distinction entre œuvre musicale et enregistrement sonore
Une œuvre musicale est une composition musicale avec ou sans paroles, qui correspond à l’expression sonore de la pensée de la compositrice ou du compositeur. Elle se distingue juridiquement du support sur lequel elle est fixée12.
Cette différence est fondamentale car, suivant le support sur lequel elle est fixée, le code de la propriété intellectuelle va reconnaître une protection différente à de nombreux ayants droits13.
Dans les faits, une compositrice ou un compositeur va le plus souvent voir son œuvre principalement exploitée de deux façons différentes : via des interprétations en concert (on parle de droit d’exécution publique) et via des enregistrements sonores.
La compositrice ou le compositeur, l’arrangeuse ou l’arrangeur, et l’autrice ou l’auteur des paroles, sont protégés par les droits d’auteur. L’artiste-interprète et la société productrice de l’enregistrement sonore sont quant à eux protégés par les droits voisins du droit d’auteur14.
Tout diffuseur d’une œuvre musicale devra donc veiller à recueillir l’ensemble des autorisations requises auprès des ayants droits, suivant l’exploitation qu’il envisage.
Une compositrice ou un compositeur qui aura ainsi participé à l’interprétation de sa propre œuvre musicale, voire au financement de son enregistrement sonore, devra ainsi prendre soin de distinguer à quel titre elle ou il donne chaque autorisation, car les conséquences juridiques peuvent être différentes en termes de cotisations sociales et d’imposition.
1 Voir l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle (liste non limitative des œuvres de l’esprit, incluant les œuvres musicales).
2Voir l’article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle (condition d’originalité du titre d’une œuvre de l’esprit, étendue par la jurisprudence à toute l’œuvre et pas seulement à son titre).
3Voir l’article L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle (protection des arrangements par le droit d’auteur).
4Voir l’annexe de l’arrêté du 15 janvier 2010 complétant l’annexe de l’arrêté du 1er février 2008 relatif au diplôme national supérieur professionnel de musicien et fixant les conditions d’habilitation des établissements d’enseignement supérieur à délivrer ce diplôme (publié au Journal officiel du 17 février 2010) :
« L’arrangeur, l’orchestrateur transforment une œuvre musicale préexistante. L’orchestrateur transpose une composition vers d’autres nomenclatures instrumentales, vocales et d’autres dispositifs, l’arrangeur la retravaille pour une application particulière, éventuellement dans sa forme. Chacun, en donnant une autre “enveloppe” à la création originelle, fait œuvre de “re-création”, laquelle peut (si elle remplit les conditions posées par la propriété littéraire et artistique) être qualifiée d’œuvre dérivée (ou composite). Un arrangeur est le plus souvent également orchestrateur. Ces deux fonctions peuvent toutefois être différenciées. »
5Voir l’article 68 du règlement général de la Sacem :
« Constitue un arrangement la transformation d’une œuvre musicale avec ou sans paroles par l’adjonction d’un apport musical de création intellectuelle. Sans préjudice de l’application de l’article 39, la déclaration d’un arrangement sur une œuvre ne sera pas admise de la part d’un Adhérent si celui-ci n’a pas préalablement subi avec succès un examen spécial dit “examen d’arrangeur” dont les modalités sont déterminées par le Conseil d’administration. »
6Voir l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle.
7Voir l’article L. 111-2 du code de la propriété intellectuelle.
8Voir l’article L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle.
9Voir la jurisprudence « Aïcha » de la Cour de cassation qui a permis, pendant près de 15 ans, de reprendre tous ces éléments.
En 1993 Jean-François Leo, auteur-compositeur suisse, composait une œuvre musicale instrumentale intitulée For Ever, déposée en 1994 à la Société suisse pour les droits des auteurs d’œuvres musicales (SUISA). En 1995, Jean-Jacques Goldman composait l’œuvre musicale Aïcha et la faisait déposer à la Sacem. Celle-ci fut diffusée à partir de 1996 dans une célèbre version chantée par l’artiste Cheb Khaled. Jean-François Leo estima son œuvre contrefaite, au motif de la reprise d’un enchaînement d’accords sur quatre notes qui compose une partie du refrain : do# – ré – do# – si.
Le Tribunal de grande instance de Paris lui donna tout d’abord gain de cause pour les motifs suivants :
- la mélodie de la chanson Aïcha présente de très fortes similitudes dans les mesures incriminées avec la composition For Ever, les seules différences dans Aïcha résultant du mi à la 4e mesure et du la à la 6e mesure qui ne constituent que des broderies sur la mélodie principale, do# – ré – do# – si, portant sur des éléments non caractéristiques à l’oreille ;
- cette mélodie est reprise sur seize mesures dans les deux œuvres ;
- les deux œuvres présentent des ressemblances harmoniques et rythmiques.
La Cour d’appel de Paris a ensuite remis en cause ce jugement en estimant que l’œuvre For Ever n’était pas originale, pour les motifs suivants :
- utilisation fréquente et banale de cet enchaînement d’accords dans les compositions musicales actuelles et donc insusceptible d’appropriation (début de l’œuvre Femme libérée, Self Esteem interprétée par Offspring, Tombé pour elle interprétée par Pascal Obispo, etc.) ;
- structure musicale et lyrique divergentes entre les deux œuvres, perceptibles pour un auditeur moyen et traduisant un parti pris esthétique différent.
La Cour de cassation censura l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, pour les motifs suivants :
- il n’est pas possible de dénier à For Ever toute originalité dans son ensemble en se référant à un seul passage de l’œuvre, alors qu’elle exprime par ailleurs un parti pris esthétique différent ;
- la Cour d’appel a limité sa comparaison aux différences entre les œuvres, sans répondre aux conclusions faisant valoir des ressemblances mélodiques, rythmiques et harmoniques.
Elle renvoya alors les parties devant la Cour d’appel de Versailles pour que cette dernière apprécie le caractère original ou pas de For Ever, en lui imposant d’examiner l’œuvre dans son ensemble, « au regard des différents éléments, fussent-ils connus, qui la composent, pris en leur combinaison ».
Elle rappelle :
- que l’originalité de l’œuvre musicale s’apprécie à l’écoute de l’ensemble de l’œuvre, au regard de ses éléments constitutifs que sont la mélodie, l’harmonie et le rythme ;
- que l’originalité de l’œuvre peut résulter de la combinaison d’éléments qui, pris séparément, ne sont pas originaux, mais qui sont traités de telle manière que la personnalité de l’auteur se reflète dans la composition.
10Voir la jurisprudence « Djobi Djoba » de la Cour de cassation : « Attendu que la contrefaçon d’une œuvre de l’esprit résulte de sa seule reproduction et ne peut être écartée que lorsque celui qui la conteste démontre que les similitudes existant entre les deux œuvres procèdent d’une rencontre fortuite ou de réminiscences résultant notamment d’une source d’inspiration commune. »
11Dans l’affaire Aïcha, l’œuvre préalable For Ever, qui présentait des similitudes, avait fait l’objet d’un dépôt en Suisse, d’une diffusion sur les ondes d’une radio « à zone de diffusion très restreinte » ainsi que dans des « clubs-discothèques » en campagne.
12Voir l’article L. 111-3 du code de la propriété intellectuelle.
13Voir l’article L. 211-2 du code de la propriété intellectuelle.
14Voir les articles L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle (pour les droits voisins des artistes-interprètes) et les articles L. 213-1 et suivant du code de la propriété intellectuelle (pour les droits voisins des producteurs de phonogrammes).